Nouvel Humanisme et non-violence active. --
Claudie Baudoin
29 Août 2017
(copié d'un article dans Pressenza écrit par Claudie Baudoin)
Dans un billet publié dans son blog le 26 aoà»t dernier, Monsieur Jean-Luc Mélenchon nous donne à réfléchir sur le Nouvel Humanisme qu'il dit reprendre à son compte dans le courant de la France Insoumise.
Quelle grande et bonne nouvelle que ë l'insoumission û ne soit pas entendue comme une force vive traduisant seulement la colà¨re ou le sentiment d'injustice, mais qu'elle soit appréhendée dans ses racines historiques et les biographiques personnelles et individuelles comme traduction de l'intentionnalité de l'être humain,
qui cherche ë à se construire lui-même û, qui se lance toujours à la
conquête ââ¬â ininterrompue dans toute l'histoire humaine ââ¬â de sa liberté !
Quelle bonne chose que cette invitation continuelle à la réflexion,
à l'étude tant de l'histoire que des contextes actuels, et à l'action
dont les fondements sont l'échange et l'intelligence collective ! Les ë
universités d'été û de la France Insoumise à Marseille du 24 au 28 aoà»t
ont souhaité en être un exemple.
Quel espoir enfin que soit porté dans le champ politique un véritable projet de société !
Les ë AMFiS û d'été à l'université de Marseille (cf. article de
Gabrielle Négrelle) ont fait preuve d'une grande effervescence en effet,
pas seulement du fait des 3000 participants bien décidés à apprendre, à
contribuer de leurs apports et à échanger sur les expériences
significatives, mais aussi parce que tout y était convoqué : la
jubilation intellectuelle d'une pensée non superficielle (conférences,
ateliers interactifs), l'émotion dans une ambiance chaleureuse de
camarderie et la contribution à un autre type de relations
interpersonnelles (rencontres, échanges, repas festif) et la force
motrice de ceux qui agissent résolument (mobilisations et démonstrations
dans la ville, préparation des actions de la rentrée). On a pu voir là une grande cohérence entre les propos du leader et les activités du Mouvement ë insoumis û et de ses membres, cohérence déjà trà¨s remarquée dans le travail soutenu des 17 Députés ë Insoumis û à l'Assemblée Nationale.
On se réjouira donc que Jean-Luc Mélenchon (dans l'article ci-dessus
mentionné et mis en lien) dirige sa réflexion vers les origines de
l'Humanisme (auquel il associe la non résignation), en souhaitant avec lui que ce ë d'o๠l'on vient û puisse orienter le ë o๠l'on va û.
C'est donc dans le confort de l'ouverture au dialogue que nous nous
exprimons trà¨s brià¨vement ici, rappelant les conditions requises pour
que ce dialogue soit constructif :
Le thà¨me est le Nouvel Humanisme, et il ne
s'agit pas tant d'appropriation de l'étiquette que de la définition et
de la nécessité historiques d'une telle nouvelle idéologie.
Par ailleurs, nous ne doutons pas un instant de l'extrême importance accordée à ce sujet, de notre part, comme de celle du chef de file de la France Insoumise.
Quant aux termes qui mériteraient des commentaires tant
idéologiques que philosophiques, l'extension de cet article n'en permet
pas le développement : nous renverrons donc plutà´t à quelques-unes de
nos références bibliographiques.
Dans ce souci que nous partageons de comprendre d'o๠nous venons, pour mieux définir encore o๠nous allons, nous demandons :
Dans le ë fil rouge û de l'histoire décrit dans l'article de Monsieur
Mélenchon cité en référence, quid du Nouvel Humanisme déjà ainsi nommé,
se reconnaissant lui aussi comme une continuité de l'histoire depuis la
Renaissance italienne, qui mit en Ã
âuvre une grande quantité d'actions
sociales, politiques et culturelles depuis la fin des années 60 dans le
monde entier, et s'est illustré en 2009 par une Marche Mondiale de la
Paix et de la non-violence à Punta de Vacas en Argentine ?
Monsieur Salvatore Pulleda, dont l'ouvrage
Interprétations historiques de l'Humanisme, de la Renaissance jusqu'à
nos jours[1], décrit tout le processus pour arriver à ce nouveau courant
né en Argentine. Il met aussi en exergue à partir de quelle définition
de l'être humain, ââ¬â et pas seulement de l'homme dans sa relation
nouvelle à la nature -, cette reconnaissance à ce courant de l'Histoire
non seulement se trouve légitimée mais aussi se présente comme une
alternative réellement révolutionnaire.
Car il s'agit bien de cela : définir ce qu'est l'humain,
dans son essence conscience-monde, dans la qualité intrinsà¨que de sa
conscience (active et non passive, intentionnalité humaine) afin de
pouvoir établir, à partir de là , les relations-monde, les structures,
les projets personnels et politico-sociaux qui s'imposent, pour pouvoir
prétendre favoriser son plein déploiement d'une part, et apporter des
éléments profonds et utiles au dépassement de la souffrance, d'autre
part.
Silo ne fut pas seulement ce penseur argentin qui
sut, dà¨s les années 1969, appeler et convoquer à ce ë Nouvel Humanisme
û, attirant l'attention sur le fait qu'un véritable changement ne pourra
pas se produire si l'on ne questionne pas, en profondeur, le phénomà¨ne
humain dans son essence, si l'on n'étudie pas en profondeur son
fonctionnement (conscience-monde) et, en conséquence, son propre
comportement, si l'on s'en tient à la seule ë raison û. De même, il invitait déjà à remarquer toujours et en toutes choses le regard de l'observateur, c'est-à -dire son propre regard,
que l'on soit un individu dans sa vie quotidienne, un scientifique mà»
par une intuition, un historien cherchant à analyser des processus, un
politicien avec un projet de société.
En cohérence à ces Contributions à la Pensée[2], le Nouvel Humanisme
de Silo, décliné également dans d'autres ouvrages sous des angles
d'approche aussi variés que le sont les domaines de l'activité
humaine[3], généra un courant de centaines de milliers de personnes,
réparties sur toute la planà¨te, dont les membres trà¨s actifs
développà¨rent tout type d'actions concrà¨tes politico-sociales, une ample
littérature, des médias alternatifs et plusieurs maisons d'édition, de
fortes campagne (alertant par exemple de l'urgence du désarmement
nucléaire) mais également des Parcs d'Étude et de Réflexion dans prà¨s de
50 pays.
Ce courant, à la fois antécédent historique et contemporain, présente
cependant une différence notable avec le Mouvement actuel de la France
Insoumise (soutenue néanmoins par bon nombre de ë siloà¯stes û, plus
communément appelés ë humanistes û durant les cinq dernià¨res décennies) : il pose la non-violence comme absolue nécessité, à la fois comme direction, comme valeur et comme méthodologie d'action.
Le sujet n'est pas ici de définir ce qu'est la violence ni ce qu'est
la non-violence. Pour ce faire, nous renvoyons à l'ouvrage paru
récemment Violence, conscience et non-violence, de Philippe Moal[4]. Il
s'agit plutà´t de s'interroger si ce courant se revendiquant aujourd'hui
d'un Nouvel Humanisme, si porteur d'espoir, si prometteur, le sera
longtemps s'il ne considà¨re pas ce thà¨me de la violence et sa réponse :
la non-violence. Le monde actuel agonise non seulement sous les coups
portés avec une méthodologie violente par les puissants (violence
physique, économique, psychologique, raciale, religieuse et de genre),
mais aussi parce que c'est précisément cette violence qui génà¨re de
faà§on durable la résignation, pour reprendre ce que Monsieur Mélenchon
souligne lui-même dans son discours de clà´ture des universités d'été.
Or, le premier des sujets que l'on admet avec grande résignation, c'est
la vision d'un être humain ë naturel û, et par conséquent ë
naturellement violent û. ë L'humain d'abord ! û[5], ce n'est possible que si, peu à peu, l'on n'admet plus aucune justification à la violence,
si viscéralement et intellectuellement, elle est rejetée par la
personne humaine, si ce rejet se transforme progressivement en
l'émergence d'une force et d'une conduite morales supérieure à toute
morale : ë Traiter les autres comme l'on voudrait être traité û, principe suprême de la non-violence.
Le chemin est long, mais si dans cette direction convergent les
progressistes, les idéalistes et les avant-gardistes de toute
provenance, ces perspectives s'affirmeront davantage.
La France Insoumise et son mentor, qui ont su faire converger des
partis, des organisations, des citoyens non encartés, qui ont le mérite
par conséquent d'articuler le peu qu'il restait des forces ë
révolutionnaires û de ce pays, qui ont eu l'intelligence de dépasser la
dialectique générationnelle en faisant une place considérable aux
jeunes, n'ont hélas affirmé ni cette position ni cette direction.
On est alors en situation de se questionner, même s'ils font la place
belle dans leurs universités d'été aux modes d'organisation
non-violents[6], sur la forme que pourra recouvrir ë la prise de pouvoir
û annoncée comme souhaitable et présentée en conférence de presse
finalement comme assez imminente.
Ce Mouvement, certes naissant mais fruit d'un processus,
nourri et inspiré de ces valeurs de l'humanisme, semble poussé par une
volonté sans faille de travailler pour un autre monde et pour contribuer
à l'avancée vers ë les jours heureux û.
Nous optons donc pour la confiance qu'il saura faire cheminer en son
sein la réflexion non seulement sur une nouvelle société, mais aussi sur
un ë nouvel homme û : celui qui construit, qui collabore avec la vie,
qui projette toujours plus loin et plus haut son intentionnalité, qui en
effet ne se résigne pas, qui ne se soumet ni aux lois injustes ni au
non-sens de la vie, qui optera (ou sera en condition d'opter) pour la
non-violence, car c'est la seule faà§on de faire converger la pensée, le
sentiment et l'action, et qui est si puissant dans ses
aspirations qu'il a osé défier tous les diktats imposés par la nature et
rêver de voler, et qu'il continue aujourd'hui en continuant à se
rebeller même contre l'acceptation résignée d'une mort absurde, quêtant
alors la transcendance par le biais de nouvelles spiritualités convergeant avec de nouvelles sciences.
Comme l'a fait remarquer fort à propos l'une des députés de la France
Insoumise lors d'une intervention à la tribune de l'Assemblée : ë l'Histoire, décidément, n'a pas dit son dernier mot ! û
Claudie Baudoin
Notes
[1] Pulleda Salvatore, À propos de l'humain, Interprétations
historiques de l'Humanisme, de la Renaissance à nos jours, préfacé par
Mikhaà¯l Gorbatchev, Éditions Références, Collection Nouvel Humanisme,
Paris, 2000, édition en langue espagnole en 2002, premià¨re édition en
italien en 1994.
[2] Silo, Contribuciones al Pensamiento, Obras Completas, Vol. I,
Editores Plaza y Valdes, Mexico, 2002. Premià¨re édition du texte en
1990. Téléchargeable sur www.silo.net en de nombreuses langues. (À
paraà®tre dans sa version franà§aise aux Éditions Références en Novembre
2017.)
[3] Pour une approche politico-sociologique, voir : Silo, Lettres à
mes amis, À propos de la crise sociale et personnelle dans le moment
actuel, Collection Nouvel Humanisme, Paris, Éditions Références, 2004,
édition en langue originale en 1993 ; et Silo parle, Conférences et
Interventions publiques, Éditions Références, Paris, 2013, édition en
langue originale en 1997.
[4] Moal Philippe, Violence, conscience et non-violence, Éditions L'Harmatan, Paris, 2016.
[5] Ce slogan est apparu en 1995 lors des campagnes législatives
auxquelles s'étaient présentés ë les humanistes û sous l'étiquette Parti
Humaniste.
[6] Conférences et ateliers sur la Méthode Alinsky : Principes pour
l'organisation des citoyens et le développement du pouvoir d'agir.
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